samedi 18 avril 2009

Hasards des lectures

Je passe une grande partie de mes journées à lire des blogs, en remontant les archives depuis le début quand j'en trouve un qui m'accroche, et en ce moment celui d'une américaine d'une petite trentaine d'année, qui vit près de Washington. Quand elle a commencé à blogger, c'était une jeune femme plutôt fashion-victim, matériellement à l'aise, mariée, rédactrice-correctrice dans une revue financière (c'était en 2003), avec des problèmes pour concevoir son premier enfant. Je l'ai suivie surtout parce qu'elle était très drôle et écrivait très bien, décrivant sa vie de façon plutôt décomplexée, même quand elle pétait un plomb et faisait descendre ses antidépresseurs et ses traitements hormonaux à la téquila, ou évoquait sa famille gentiment cinglée.
Aujourd'hui, elle a deux enfants, qu'elle a réussi à faire sans médicaments, un qui a trois ans et demi, l'autre six mois. Et c'est là que ça commence à me parler vraiment, alors que je ne m'y attendais pas. Son petit garçon de trois ans et demi a un retard de langage, accompagné de troubles du comportement, crises d'angoisse, difficultés de socialisation, résistance aux changements, etc. Elle raconte son parcours du combattant, évaluations, bilans, essais d'intégration en milieu scolaire "ordinaire", compliqué par le système de santé et d'assurance américain (je ne trouve pas de qualificatif approprié) et aussi son amour pour son enfant, ses doutes, la différence entre ce qu'elle ressent et le regard du reste du monde. Elle se débat, elle craque, elle remonte la pente, elle s'énerve, se met en colère, pleure, rit, essaie de se changer les idées et de ne pas oublier de vivre sa vie. Et je me suis souvenue comment, après le diagnostic qui avait collé une grande étiquette indélébile sur mes enfants, je regardais Théo dormir, en me demandant si un jour j'arriverais à ne pas penser constamment à cette étiquette et à juste l'aimer et jouir de sa présence, sans être obsédée par ce que l'avenir nous réservait. Il fallait que je profite de mon bébé, qui était si beau, qui sentait si bon, dont la différence ne se voyait pas encore... A l'heure qu'il est, ma petite sœur d'Amérique n'est pas sortie d'affaire, elle cherche toujours de l'aide, sur Internet et chez les professionnels. Je pense qu'elle va bien s'en tirer, parce que c'est une coriace, et qu'elle est entourée.

mercredi 18 février 2009

A côté de la plaque

Quand il avait 8 ans, Théo a passé une année scolaire en CLIS. Son instit était encore en formation, et elle était remplacée de temps en temps par une stagiaire gentille mais absolument inexpérimentée.
Deux anecdotes : Théo, qui n'est pas douillet, se met à hurler dans la cour de récréation, après avoir été pris dans une bousculade, et se jette par terre. L'instit se précipite sur lui, essaie de savoir s'il avait mal quelque part, et où, sans résultat. Elle appelle un autre instit et à deux, ils portent Théo à l'infirmerie, où la situation reste au point mort, faute de communication. Grande émotion, et le soir, l'instit s'empresse de me raconter l'incident, apparemment pour me prouver qu'on s'occupe bien de mon enfant... Le soir, à l'heure du bain, Théo enlève ses chaussettes et je découvre que l'ongle de son gros orteil est tout noir... Si les grandes personnes se mettaient à la place des enfants, elles comprendraient aisément que lorsqu'on est un Rakrout qui a mal, on n'a pas envie en plus que des adultes se jettent sur vous en vous bombardant de questions, puis vous emmènent de force dans un endroit inconnu et un peu inquiétant pour vous poser encore des questions et vous examiner sous (presque, la preuve) toutes les coutures avant de vous renvoyer en classe... C'est ce que j'ai expliqué gentiment à l'instit.
Quelques mois plus tard, l'instit s'empresse à nouveau de me raconter un incident : Dans la CLIS, on finit apparemment d'user le vieux matériel, et les enfants sont installés à des pupitres attachés (les pupitres, pas les enfants...) au siège par une structure en tubes. A force de se contorsionner, Théo s'est retrouvé coincé plus ou moins la tête en bas, et impossible de le faire sortir de là sans mal. Qu'a fait l'institutrice ? elle a fait appeler le SAMU. Quand elle me raconte ça, j'éclate de rire en lui disant que personnellement j'aurais plutôt appelé un plombier. Vexée, elle finit par me dire qu'elle a reçu à peu près le même accueil au SAMU, et que finalement on a scié le bureau pour libérer mon fils. Personnellement, je l'aurais renversé, car tout ce qui passe dans un sens devrait pouvoir ressortir par le même chemin. Bonne volonté, mais pas beaucoup de bon sens...

Des armes ou des phrases ?

Théo le Rakrout joue beaucoup à la Xbox, principalement à des jeux de course de voitures, mais il aime bien aussi les jeux de combat (qu'il trouve en général sur des démos, car nous n'en n'achetons pas). Seulement, s'il y joue pendant une heure ou deux, il sort de sa chambre dans un état d'énervement et d'agressivité que son déficit de communication n'améliore pas tellement. Son père lui a fabriqué une "matrillette" en bois, presque grandeur nature, qu'il utilise aussi comme guitare électrique ou raquette de tennis, suivant l'humeur et la saison. Quand il pique sa crise, la mitraillette reprend sa fonction d'origine, accompagnée d'onomatopées plutôt réalistes et nous sommes pris pour cible. Cela peut arriver aussi s'il est contrarié pour une raison ou une autre. Hier soir, après les infos, son père a voulu mettre un DVD alors que Théo, très au courant du programme, avait déjà changé de chaîne pour regarder "Astérix". Théo s'est alors levé, avec des gestes menaçants, et au bord des larmes. J'ai fini par lui faire comprendre qu'il devait "faire une phrase" pour que nous puissions savoir ce qu'il voulait ou quel était son problème (même si nous en avions une idée assez précise). Il a fini par se calmer et par nous donner le titre du film. Nous avons cédé, mais non sans lui demander de remercier son père et insister sur le fait qu'il valait toujours mieux s'exprimer en mots qu'en gestes.
Nous avons trouvé il y a plusieurs années le rituel de "faire une phrase" : même s'il s'exprime alors à l'aide de phrases toutes faites, cela désamorce en général la situation. Malheureusement, il commence toujours par la gestuelle, son premier réflexe n'est pas de s'exprimer par la parole. Il faut le savoir et s'adapter. C'est un métier qui s'apprend sur le tas.

vendredi 13 février 2009

Avantages et inconvénients

Quel dommage que je n'aie pas connu l'Internet il y a 15 ans ! Etant donné ma mémoire de passoire, et ma flemme d'écrire à la main, j'aurais pu commencer un blog et noter au jour le jour tous les petits trucs rigolos ou moins rigolos concernant mes enfants, que j'ai oubliés pour la plupart maintenant. Oui, mais bon, j'ai connu l'époque où les machines à laver marchaient au gaz (oui oui), et où on écoutait des 33 tours sur un tourne-disque. Nananère.

jeudi 12 février 2009

J'ai bien envie qu'on me trouve

Parce que si je raconte ma vie sur la toile, c'est un peu (!) pour être lue. Alors, je vais mettre "X fragile" dans les tags, et voir si ça marche.
Collègues parents, je vous espère...

Bonne idée ?

Donc, Antoine a commencé, à la rentrée 1991, à prendre deux fois par semaine un "taxi" (VSL) pour aller à ses séances "d'hôpital de jour". Cela se passait très bien, et il aimait beaucoup prendre le taxi. Un jour le chauffeur nous a même demandé s'il était possible qu'Antoine ait reconnu James Brown à la radio ? Oui, c'était possible. Mes enfants aiment beaucoup la musique, et ils ont une très bonne mémoire. J'ai souvent été tentée de les inscrire à un jeu télévisé...
Environ un vendredi après-midi par mois, j'étais convoquée à l'hôpital pour rencontrer l'équipe éducative, et en particulier le chef de service de l'hôpital de jour, un psychiatre, le Dr H. Cet homme, au vu du dossier d'Antoine, m'a posé beaucoup de questions sur ma grossesse, la naissance d'Antoine, notre vie de couple, ce qui me plaisait de moins en moins. En revanche, j'avais un bon contact avec l'éducatrice, qui visiblement connaissait beaucoup mieux mon fils et parlait de choses concrètes.
Début janvier 1992, je me suis retrouvée hospitalisée au service gynéco de ce même hôpital, pour cause de décollement de placenta, hémorragie, menace de fausse-couche, etc. J'étais enceinte de deux mois environ. Quelques jours plus tard, le lendemain de ma sortie, j'avais rendez-vous avec ce cher docteur H, à qui je raconte mes mésaventures : "Vous croyez que c'était une bonne idée de faire un autre enfant ?"
Hé bien, non seulement ça ne le regardait pas, mais en plus j'étais toujours enceinte, contrairement à ce qu'il semblait avoir compris. Grossesse toutefois compliquée, que j'ai passée en grande partie sur mon canapé, à regarder la télé, prenant ma voiture seulement quand je ne pouvais pas faire autrement, et qui m'a valu un autre séjour à l'hôpital en juin pour "menace d'accouchement prématuré".
Mais Théo est arrivé finalement à terme en juillet 92, accouchement cool (merci la péridurale) et Antoine, couvert de cadeaux, a trouvé que c'était sympa d'avoir un petit frère, et en a même profité pour devenir propre nuit et jour (j'ai dû acheter une seule fois des couches en deux tailles différentes). Entre temps, nous avions négocié l'entrée d'Antoine à la maternelle, avec une directrice caractérielle mais concernée. En plus, congé de maternité aidant, il avait sa mère à plein temps pour passer ce cap délicat.

mercredi 11 février 2009

Des groffes

Si vous rentrez chez vous un mercredi après-midi, plutôt plus tôt que d'habitude, parce que bon, le Rakrout a beau avoir seize ans deux tiers, vous n'aimez pas trop le laisser tout seul trop longtemps, sinon il s'ennuie et donc va zyeuter des femmes nues sur Internet (un jour je vous raconterai comment un Rakrout qui ne sait pas écrire trouve l'adresse des sites de femmes nues sur Internet), et que donc quand vous rentrez, en guise de bienvenue, le Rakrout s'exclame "Y a plus d'gâteaux !", vous enlevez votre manteau, et tout de suite après être passée au toilettes, quand même, avant qu'il y ait un accident, vous sortez pour 1) chercher du bois, et 2) constater que les miss Coco ont pondu et donc ramasser les oeufs.
Tout en encourageant vigoureusement le Rakrout à sortir la balance, la farine, le sucre, le mixer, tout ça successivement une fois qu'il a deviné que c'était ça que vous vouliez lui faire dire, vous mettez le susdit bois dans le poêle, ouvrez le courrier, cassez trois oeufs dans 250 g de farine, ajoutez environ un bon peu de lait, un peu moins de sucre, pas beaucoup de sel, un genre de pincée de vanille pour donner du goût, sans oublier la levure sans laquelle ça serait raté, et quand le Rakrout a fini de mixer, et le groffier de chauffer, vous mettez deux louches de mélange dans le bidule et cinq minutes après, le Rakrout n'a plus aucune raison de râler.
Voilà ce que c'est que d'avoir bientôt un âge avancé, plus besoin de recette, et on tape tout de suite dans le mille quand il s'agit de rendre un Rakrout heureux.
Tenez, pour la peine, tout en écrivant ça, je m'autorise à manger une demi-groffe. Ca vous tente ?

mercredi 4 février 2009

Le jour où j'ai failli tomber de ma chaise

Donc j'arrive dans le bureau du docteur B, je lui raconte notre histoire. Au bout d'un moment, me fixant derrière ses lunettes de hibou en écaille, il me demande abruptement : "Votre mari est libanais, vous habitez à tel endroit ?" Un peu estomaquée, je confirme. Alors, il m'annonce : "Je vous attendais. Je savais qu'un jour vous viendriez me voir". Moi, estomaquée, je me dis : cet homme est surnaturel, il a un don de voyance, ou quoi ?
Mais non, vous aurez peut-être deviné, j'avais fait un black-out total sur une partie des propos de notre ami G, et en particulier sur le nom de son ami pédo-psy. Je l'avais en face de moi, tout simplement.
Incroyable que j'aie pu occulter ça, et pourtant c'est la pure vérité.
Cet homme donc, une fois le quiproquo éclairci, me propose de recevoir Antoine au sein de "l'hôpital de jour", c'est-à-dire de l'accueillir deux fois par semaine dans un petit groupe encadré par un psychologue, une éducatrice spécialisée, une psychomotricienne, etc.
Ce jour-là, sans que je le sache, ma vie a basculé. J'ai découvert peu à peu ce monde peuplé de professionnels au titre un peu barbare. Pas de diagnostic, toutefois, concernant Antoine. Psychose infantile, autisme, ou autre, on a tout évoqué sans rien préciser.
Parallèlement, la vie continuait, et nous avions décidé (enfin, surtout moi) d'avoir un autre enfant. Comme si tout allait s'arranger, comme si nous étions face juste à un petit incident de parcours, bien géré, et qui ne devait pas influer sur nos projets.
Peu de temps après qu'Antoine a commencé à fréquenter l'hôpital de jour, j'ai été enceinte.

C'est l'histoire d'un voyage en Italie...

qui s'est transformé en trekking aux Pays-Bas, pour reprendre la métaphore d'une autre mère. Bien sûr, quand j'ai mis Antoine en route, cinq ans après son frère aîné, je n'avais qu'une vague idée de mon futur enfant. Je pouvais imaginer qu'il nous ressemblerait, à son père et moi, qu'il grandirait, qu'il irait à l'école, qu'on l'aimerait très fort, qu'il nous ferait rire, et pleurer aussi. Une grande partie de ces choses s'est réalisée, bien sûr, mais on a eu des surprises.
Bon, c'était il y a un moment. Antoine va avoir vingt ans. C'est un grand gaillard blond aux yeux bleus, taillé en rugbyman ; il a beaucoup d'humour, une mémoire époustouflante, et la plupart du temps c'est une bonne pâte.
Il est né le jour de la fête nationale irlandaise, après un accouchement long et mémorablement pénible. C'était un gros (pour moi) bébé, avec une grosse tête au duvet blond. A part qu'il vomissait abondamment et fréquemment (pour recommencer à téter immédiatement), il a été un bébé plutôt sympa, dans le haut de la moyenne pour la taille et le poids.
Plutôt placide, il a marché tard - 21 mois - mais, disait sa nounou "il ne peut pas tout faire en même temps, il a eu ses dents de bonne heure". Il ne parlait pratiquement pas.
Il ne dormait pas très bien. Vers 18 mois, il a commencé a avoir un comportement "pénible" en certaines circonstances. Je me souviens d'un dîner chez nos voisins, que j'ai dû quitter de bonne heure, car Antoine ne me lâchait pas, criait, pleurait, m'empêchait de manger, de bavarder, de prêter attention à qui que ce soit d'autre que lui.
Et puis, un jour, notre ami G, psychiatre de son état, est venu dîner à la maison. Antoine était dans l'entrée ; dès qu'il a vu G, il s'est jeté par terre et s'est frappé la tête sur le carrelage. G n'a rien dit, nous, gênés, avons fait à peu près comme si de rien n'était. Au bout d'un moment, Antoine s'est calmé et une heure après, il tournait autour de nous en quêtant des biscuits apéritif, et se montrait totalement détendu et amical.
A la fin du dîner, G est revenu sur l'incident, nous disant en particulier "Votre enfant est angoissé. Ce n'est pas parce qu'il ne parle pas qu'il ne faut pas lui parler. Il a du mal à comprendre ce qui se passe autour de lui. Son frère aîné (Adrien, mon fils d'un premier lit) part souvent avec un monsieur. Comment peut-il savoir s'il va revenir et quand ? Comment peut-il ne pas s'imaginer qu'un jour un monsieur va venir le chercher lui aussi ? Parlez-lui, rassurez-le."
Il nous a aussi recommandé un ami pédo-psychiatre, chef de service dans l'hôpital le plus proche de chez nous.
Nous avons suivi (presque tous) ses conseils : nous avons parlé à Antoine, lui répétant inlassablement (y compris quand il se réveillait à deux heures du matin en hurlant) que nous étions ses parents, que nous l'aimions très fort, qu'ici était sa maison et que personne ne l'emmènerait ailleurs. Nous avons commencé à lui expliquer systématiquement tous les évènements imprévus ou sortant de l'ordinaire. Un soir, notre voisin, D, médecin généraliste, est passé alors qu'Antoine était couché. Nous discutions dans l'entrée et Antoine s'est mis à pleurer à l'étage. D a eu l'air étonné quand j'ai expliqué : "Je pense qu'il t'a entendu et qu'il se demande ce qui se passe". Je suis allée chercher Antoine pour qu'il voie D et je lui ai dit qu'il n'allait pas rester, qu'il allait rentrer chez lui, et nous, rester chez nous. Ses pleurs se sont calmés.
Mais il continuait à se taper la tête, par terre, ou même contre les radiateurs. Nous avons des photos de cette époque où son front n'est qu'un hématome. Ses cheveux avaient seulement commencé à pousser, blonds et bouclés. Une de mes soeurs m'a dit à cette époque : "On dirait qu'il a un point d'interrogation au-dessus de la tête".
Antoine avait le même comportement possessif avec la nounou, et piquait en particulier des crises lorsque le mari de celle-ci rentrait à la maison le soir.
Quand Antoine avait un an, j'ai fait une dépression et j'ai commencé une psychothérapie chez une psychiatre. Au bout d'un an à peu près, je lui ai parlé d'Antoine et elle m'a conseillé de demander l'avis d'un pédo-psychiatre. A reculons, j'ai commencé à me renseigner, et pris rendez-vous avec le docteur B, à l'hôpital.